Comme en témoigne cet article de Livres-Hebdo la Romance est en plein essor. Quelle place lui accorder dans votre librairie et quels titres sélectionner ? Nous avons une formation pour vous accompagner dans la création et l’optimisation de ce rayon : La New Romance
Nouveaux arrivants, cessions de droits et saturation du marché : avec ses chiffres affolants, la romance fait tourner bien des têtes dans l’édition.
Un chiffre d’affaires qui augmente de 59 % en un an, un volume qui gonfle de 38 % et des tirages initiaux qui s’élèvent à 100 000 exemplaires sans sourciller… Rares sont les progressions aussi retentissantes dans le monde du livre. Fleuron économique, la romance est passée en une poignée d’années seulement de mouton noir du secteur à marché porteur. « Et ce n’est pas près de s’arrêter », se réjouit depuis Strasbourg la libraire de l’Escapade spécialisée dans le genre, Marie Wietzorek, égrenant les titres « lourds » de la rentrée : Valentina – 44 millions de lectures sur Wattpad -, l’intégrale de la série Hadès et Perséphone en collector et la suite de Trouble Maker, déjà 90 000 exemplaires vendus du premier tome. Elle ne cesse de s’étonner des « grosses quantités qui passent en caisse ».
Il faut dire que le secteur n’a pas toujours été aussi vivant. « Pendant des années, Harlequin a été le seul sur le marché, mais, depuis peu, le lectorat a changé et il a fallu se réinventer », témoigne Sylvie Gand, responsable éditoriale chez HarperCollins France. Plongée dans la romance depuis une vingtaine d’années, elle situe le point de bascule à la publication de Fifty Shades of Grey (Lattès, 2012) : « L’ouvrage était une fanfiction de Twilight pour, entre autres, répondre au manque de scènes de sexe du best-seller. Son succès a témoigné d’une vraie demande d’érotisme de la part des lectrices », retrace-t-elle.
« Cette nouvelle manière de faire de la romance n’est pas qu’un succès d’édition, c’est un phénomène de société », assure Arthur de Saint Vincent, directeur général délégué d’Hugo Publishing. Parmi les grands gagnants du genre, c’est sa maison qui s’offre la plus belle part du gâteau avec 39 % du chiffre d’affaires total du secteur et deux autrices sur le podium : l’Américaine Colleen Hoover, première du classement des ventes et 18 fois citée dans le top 100 de GFK et la Française Morgane Moncomble avec sa série Seasons. La maison est suivie par Hachette, détenant 22 % du marché, dont la majorité des ventes se fait à travers la marque BMR notamment avec l’incontournable Sarah Rivens qui, après son best-seller Captive, se retrouve médaille d’argent autour du cou pour Lakestone.
Passions naissantes
Derrière les deux mastodontes éditoriaux, une multitude de maisons se partagent les 39 % restants dont plusieurs noms que l’on ne voit que rarement dans les médias : Plumes du Web, les éditions Addictives, Nisha et cætera et bien d’autres. Ces jeunes éditeurs ont créé leur structure en réaction à cette envie de renouvellement, apportant d’autres manières de faire. Chez eux, pas d’attaché de presse mais de vastes communautés de lectrices réunies autour de plateformes d’écriture comme Wattpad et un tissu d’influenceuses littéraires particulièrement prescriptrices.
« À partir de 2021, TikTok est apparu comme une nouvelle source d’informations pour les lectrices. Certaines autrices du fonds comme Colleen Hoover ont explosé grâce aux réseaux, passant de moins de 10 000 exemplaires vendus aux centaines de milliers que l’on connaît », explique la responsable marketing et communication de BMR, Apolline Crapez. Malgré l’appartenance au groupe Hachette, la maison a elle aussi choisi de ne pas avoir d’attaché de presse. « Pendant longtemps nous avons été moqués par beaucoup de médias traditionnels, mais, avec nos chiffres de ventes, ils sont désormais obligés de nous considérer », assène-t-elle. Une prise en compte de la romance comme un secteur éditorial à part entière qui commence à attirer de plus en plus de groupes.
Car des nouvelles maisons sur le marché, il y en a beaucoup. En un an, cinq acteurs – Olympe chez Madrigall, Chatterley, Slalom et New Rules sous la houlette d’Editis et le label Verso au Seuil – se sont lancés, avec pour genre majeur ou mineur la romance. « Désormais il va falloir se battre pour sa part de marché », avertit Arthur de Saint Vincent. Leader depuis plusieurs années, il prévient toutefois les autres joueurs : « On pense souvent que, pour faire de la romance, il suffit de faire de grosses avances, mais c’est plus complexe que ça. »
Parmi les challengers, plusieurs positionnements éditoriaux. Chatterley fait le souhait d’être le « généraliste de la romance » proposant les sous-genres désormais bien identifiés que sont la dark romance à la romantasy, en passant par la romance historique.Tandis que Le Seuil enlace le genre dans une volonté de proposer une collection de littérature populaire plus large. « Il y a une vraie compétition. Il va falloir se démarquer », reconnaît Glenn Tavennec.
Démarché par Hugues Jallon, alors P.-D. G. de la maison, celui qui avait notamment monté la collection « R » et « L’Incendie » chez Robert Laffont vient d’ouvrir le feu avec Butcher and Blackbird (mai 2024), une killer romance, nouveau sous-genre en devenir. D’autres sont encore dans les starting-blocks. En janvier 2025, Albin Michel arrive dans la bataille avec sa collection de romance new adult. Baptisée « Nox », elle sera dirigée par Nine Gorman. Une course à la romance qui dépasse les frontières. En Italie, HarperCollins a lancé récemment « Midnight », une collection fortement dédiée au genre.
Trop de passion ?
Mais y a-t-il encore de la place dans ce secteur aux titres pléthoriques ? « Les rayons des libraires sont très encombrés et beaucoup de titres se ressemblent », témoigne Murielle Couëslan, directrice des éditions Rageot. Sophie Lemonnier, directrice des éditions Addictives, est confiante : « C’est vrai qu’il y a de plus en plus de livres, mais le marché s’élargit. Nous avons davantage de place sur les tables et dans les rayons ». Avec sa maison créée en 2013, elle a fait le choix de ne pas faire d’achat de droits à l’étranger et continue de miser sur des autrices françaises, comme Emma Green, dont le succès ne faiblit pas.
Ce n’est pas le cas du reste du marché dont la majorité des best-sellers – Jamais plus, Twisted Love, Icebreaker – sont traduits de l’anglais. Et c’est peut-être sur ce créneau que les rivalités se font de plus en plus ressentir. « Sur un même titre, il n’est pas rare d’avoir des enchères à six chiffres et plusieurs éditeurs qui n’hésitent pas à se positionner », explique Sylvie Gand, qui regrette une situation « difficilement gérable ». Un marché sur les dents qui va jusqu’à enchérir sur des ouvrages pas encore écrits.
« Quand une autrice fonctionne bien à l’étranger, les éditeurs se positionnent rapidement et on se retrouve à devoir acheter la série suivante de cette écrivaine pour ne pas la perdre, alors même qu’en France nous n’avons pas encore fait nos preuves sur le premier tome », signale Apolline Crapez. Pour elle, toutefois, on retrouve aussi cette tension sur la scène française : « Il n’est pas rare de voir des mises à cinq chiffres pour les textes qui remontent sur Wattpad et, bien sûr, tous les éditeurs ont déjà contacté Sarah Rivens. » Des chiffres étourdissants qui augmentent d’autant le seuil de rentabilité. « Le point mort de ce type d’ouvrage monte désormais très vite à 50, voire 60 000 exemplaires vendus ! » alerte Arthur de Saint Vincent.
Face au risque d’étouffement, la romance conquiert de nouveaux territoires. Jusqu’alors identifiée au segment adulte, elle déborde désormais sur le young adult. Elsa Whyte, récemment embauchée chez Flammarion Jeunesse en tant que responsable éditoriale, a bien remarqué ce glissement. « En à peine deux ans, il est devenu régulier que l’on me propose en cession de droits pour mon segment young adult des titres de romance destinés à des adultes », dit-elle tout en précisant qu’elle n’a pas l’ambition d’aller sur ces terrains-là.
Même chose du côté des littératures de l’imaginaire avec la très plébiscitée romantasy. « En cinq ans, le world building est passé au second plan face à la romance », observe Murielle Couëslan chez Rageot. De même, Pascal Godbillon, directeur de « Folio SF&Fantasy » et de la collection « Lunes d’Encre » chez Denoël, a senti qu’il ne pouvait plus faire l’impasse sur le genre s’il voulait être « représentatif de l’ensemble des imaginaires ». Il fonde ainsi le label Olympe chez Madrigall. « La romance a vraiment mangé les plates-bandes de la SF », ajoute-t-il.
De son côté, Arthur de Saint Vincent voit la diversification comme échappée possible. Le 27 juin dernier paraissait le premier numéro de New Romance Magazine, une revue regroupant plus de 90 pages de « romances contemporaines sous forme de nouvelles », lancée en partenariat avec Reworld Media. Une façon de multiplier les supports qui sonne comme la première étape d’une diversification plus large : « Pour la suite, nous voulons développer la prise de parole et les ateliers d’écriture avec nos autrices. Il y a une demande très forte de formation de la part du marché. » De quoi légitimer encore plus ces écrivaines qui, décidément, sont source générale d’intérêt.
Article publiée initialement sur Livres Hebdo : https://www.livreshebdo.fr/article/romance-que-la-chasse-commence que nous reprenons avec l'aimable autorisation du magazine. Par Pauline Gabinari le 09.08.2024